Covid-19 : Près d’un salarié sur deux en détresse psychologique

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Selon un sondage d’OpinionWay et du cabinet Empreinte Humaine, 44 % des salariés se trouvent en détresse psychologique. En tête, les personnes infectées, les femmes et les managers. À l’angoisse de la maladie s’ajoute le stress du confinement, du télétravail, du déconfinement, du chômage, etc. Autant de peurs que les entreprises et leurs DRH doivent apprendre à gérer en s’appuyant sur une culture d’entreprise des risques psychologiques, plutôt que des solutions ponctuelles ou externalisées. (photos Pixabay – E.Akyurt / Lachmann-Anke / M.Rottonara / E.Alderson)

Avec la crise du covid-19 et le confinement prolongé, 44 % des salariés français présentent de la détresse psychologique, selon un sondage mené par le cabinet Empreinte Humaine et OpinionWay auprès de 2000 salariés entre le 31 mars et le 8 avril 2020. 27 % sont en détresse modérée et 18 % en détresse élevée. « Les 27 % sont l’antichambre des 18 %, s’inquiète qui plus est Christophe Nguyen, psychologue du travail et président d’Empreinte Humaine. Cela signifie passer de troubles mentaux modérés à des troubles anxieux importants, voire des traumas potentiels de type syndrome post-traumatique. » Un quart des salariés seraient en risque important de dépression nécessitant un traitement, selon le sondage. Et comme le notent les initiateurs de l’enquête, celui-ci a été réalisé avant le prolongement du confinement jusqu’au 11 mai au moins.

Peu présente dans le discours public, la santé psychologique des salariés dans le contexte de la pandémie de covid-19 est tout aussi préoccupante que leur santé physique. Et les entreprises doivent s’en préoccuper dès maintenant au travers d’un plan d’action global. C’est la conclusion du cabinet Empreinte Humaine qui actualisera le sondage chaque semaine. Objectif : qu’il devienne un indicateur de la santé mentale des salariés et alerte aussi les pouvoirs publics sur le sujet.

Les femmes, les malades et les managers les plus touchés

22 % des femmes sont en détresse élevée contre 14 % des hommes. Elles sont 37 % en risque de dépression contre 28 % pour les hommes. La charge mentale qu’elles supportent, mais aussi leur surreprésentation dans les métiers en première ligne comme la santé ou la grande distribution, par exemple, expliquerait cet écart.

Pour le cabinet de conseil en qualité de vie au travail (QVT) et risques psychosociaux (RPS), la communication autour de la santé psychologique et de sa prévention est largement absente du discours public. Les précautions en matière de gestes barrière, de soin et de prévention liées à la santé physique sont logiquement privilégiées. Mais les sujets d’angoisse, de peur, associés à la pandémie et à ses conséquences sont pourtant bien plus nombreux variés qu’on ne peut l’imaginer.

18% des salariés en détresse psychologique (Empreinte Humaine / OpinionWay)

La peur de la maladie, de la mort, du chômage, du déconfinement…

La perspective de la contagion ou de la mort, pour soi et pour ses proches, sont bien entendu des sujets d’angoisse forts du quotidien. Mais c’est aussi le cas du confinement dans des conditions parfois difficiles, du télétravail permanent et d’une organisation inhabituelle ou au contraire du travail dans des conditions sanitaires précaires, voire du chômage partiel ou de la perte définitive de son travail. La perspective du déconfinement génère aussi une appréhension du retour dans les transports ou dans un openspace, l’angoisse d’être stigmatisé si on est ou si on a été malade… Aucune de ses peurs ne doit être négligée.

Quatre salariés de l’échantillon interrogé sur 10 connaissent une personne infectée dans leur entourage et un peu plus d’une sur 20 dit avoir été infectée. Parmi ces dernières, près de 57 % sont en détresse élevée. Une sur trois est en télétravail dont les deux tiers dans leur salon, et non dans un espace isolé. Le télétravail n’est pas un facteur de risque en soi, comme le précise Empreinte Humaine, mais les conditions dans lesquelles il est exercé peuvent avoir un impact majeur sur l’état psychologique. Le confinement dans un logement de moins de 40 m2, en couple, avec des enfants est sans surprise un facteur aggravant. Alors qu’en temps normal, il peut être vécu comme un moyen de mieux organiser la frontière entre vie privée et vie professionnelle, le télétravail imposé et permanent induit l’effet inverse.

La question des gilets jaunes exacerbée

A contrario, 23 % des salariés interrogés travaillent encore dans les locaux de leur entreprise, un tiers est en activité partielle et 12 % en chômage technique. « Ce sont des populations déjà en souffrance économique qui sont ainsi exposées, commente Christophe Nguyen. C’est la question des gilets jaunes qui est exacerbée. Ce sont les mêmes qui sont sur la ligne de front, aujourd’hui, et se sacrifient pour les autres, en quelques sortes. »

26 % des salariés estiment leur performance et leur motivation détériorées. Cette proportion grimpe à 30 % chez les femmes, 31 % en Île-de-France et 32 % chez les personnes confinées avec d’autres. Il atteint même 50 % pour les personnes en situation de détresse élevée. L’indicateur est complexe à interpréter, car la détresse psychologique rend prompt à se juger moins performant, mais à surveiller néanmoins, selon le cabinet Empreinte Humaine.

Des managers déboussolés

Les collègues représentent le soutien le plus fort (79 %), devant les N-1 (70 %), la direction (67 %) puis seulement la DRH (59 %) ! 70 % des sondés estiment que leur entreprise fait son maximum pour les aider, mais un tiers seulement pense être bien informé sur les risques, et pense que la direction montre son engagement et juge le sujet aussi important que la productivité. À noter que seuls 40 % considèrent la médecine du travail comme un soutien.

Les managers plus nombreux en détresse psychologique que les salariés dans leur ensemble (Empreinte Humaine / OpinionWay)

La situation décrite par le sondage Empreinte Humaine – OpinionWay conduit pourtant à agir dès maintenant, sous peine d’aggravation. Reste que les entreprises et leur DRH ne sont pas rodées à l’exercice de l’accompagnement psychologique. Et cela angoisse aussi le management ! « Les managers sont 20 % à vivre une détresse psychologique, soit plus que la population salariée en général, précise Christophe Nguyen. C’est d’autant plus inquiétant que ce sont eux qui devraient être vigilants. » Pour Jean-Pierre Brun, cofondateur d’Empreinte Humaine, « ils sont très vite montés sur le pont pour mettre en place les modes de travail dégradés imposés par la situation, et ils ont travaillé 12 heures par jour, souvent avec leur famille et leurs enfants. Et ils n’ont trouvé de rythme de croisière que depuis une semaine environ. »

Ni psychologues ni médecins

Les managers s’interrogent qui plus est, sur leur rôle. « Ils sont bel et bien dépositaires de ces problèmes et des solutions à mettre en œuvre que les DRH, précise Christophe Nguyen. Et ils essaient de faire preuve de tolérance, de compassion. Mais ils ne sont ni psychologues ni médecins ! C’est une situation inédite qui génère des risques inédits. Dans certains métiers, les employés racontent partir travailler avec la boule au ventre. D’autres disent « je n’irai pas, j’ai trop peur ». Tout est très compliqué à gérer. »

Développer une culture globale plutôt que des remèdes d’appoint

Alors, comment faire ? Selon le cabinet, beaucoup d’entreprises ont mis en place des lignes d’écoute, des numéros verts. Une première approche utile, mais loin d’être suffisante, car elle ne relève pas de la prévention des RPS et que c’est une façon d’externaliser la réponse. Une grave erreur. Des ressources et des moyens, de l’organisation et de la méthode, doivent être mis en œuvre. Plutôt que de se contenter de traiter le problème une fois survenu, l’entreprise doit agir en amont. Pour le cabinet de conseil en gestion des RPS et de la QVT, cela passe par le développement d’une culture d’accompagnement psychologique dans toute la société. Avec un engagement indispensable du comité de direction ! Et comme les managers ont un niveau de stress très élevé, il faut aussi impliquer les services généraux, les ingénieurs santé, la sécurité, la DRH…

Un plan d’action pour anticiper les impacts du déconfinement

De la même façon que les entreprises préparent des PCA (plan de continuité d’activité), elles doivent déployer des plans d’action liés aux risques psychologiques. « Ce ne sont ni des vacances ni du repos. C’est l’inverse, insiste Jean-Pierre Brun. Il faut agir rapidement, et ne pas attendre que les problèmes surviennent pour mettre en place des mesures de prévention. Il faut travailler sur l’organisation et la confiance, et rassurer les salariés sur les conditions de travail saines et sûres à leur retour dans les locaux. » Selon les deux consultants, les entreprises doivent préparer dès maintenant le déconfinement et la reprise, avec méthode.

Les entreprises doivent préparer dès maintenant le déconfinement et la reprise, avec méthode. (Cr T.Ulrich / Flickr)

Pour cela, il faut écouter les préoccupations, les craintes, les angoisses des collaborateurs et les faire entendre au plus haut niveau. Des phénomènes de comparaison de situations peuvent apparaître et tourner à la stigmatisation. Comment les malades seront-ils traités, par exemple ? Seront-ils placés en quarantaine ou en confinement prolongé ? Les salariés en chômage partiel risquent de s’interroger : « pourquoi moi et pas un autre ? ». Les cols bleus, contraints de se rendre sur leur lieu de travail et de s’exposer au virus, pourraient s’opposer aux cols blancs en télétravail, avec un enjeu d’équité sociale. « Avec de tels ressentiments, un soutien psychologique individuel ne suffit pas, pour Christophe Nguyen. Sans prise en compte globale du phénomène, l’entreprise fera face à du manque de confiance. Les apéritifs virtuels ne suffisent plus ! » Il faut répondre à ces questions et, pourquoi pas, envisager des guides des risques psychologiques comme il en existe pour les risques sanitaires, avec les gestes barrières et les distances de précaution.

Une prévention durable pour une crise durable

Les troubles anxieux laissent une empreinte durable. Ce n’est réversible qu’avec des dispositifs spécifiques de suivi mis en place. « La Chine constate déjà des troubles post-traumatiques avec des comportements de retrait, de peur, de colère, d’incompréhension, » raconte Christophe Nguyen. Les études épidémiologiques montrent que les troubles anxieux se déclenchent au bout d’un mois. Ils seront d’autant plus importants que le confinement et la crise dureront. Il faut agir dès aujourd’hui pour éviter que ça se répercute dans le travail. Et le déconfinement ne suffira pas à un retour à la normale. Le confinement s’arrêtera, quelle qu’en soit la date, mais le covid-19, lui, perdurera.

Emmanuelle Delsol

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