Dossier pénurie : pour Eric Andrieu, Merck, le défi majeur est d’augmenter les effectifs de 15 %

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L’industriel pharmaceutique allemand Merck compte 4000 employés sur 11 sites en France majoritairement en production. En 2022, le groupe veut recruter 600 personnes sur le territoire. Son DRH France, Éric Andrieu, a partagé avec Enjeux RH et le Monde Informatique les moyens et méthodes mis en œuvre pour relever le défi. Au programme entre autres, recrutement sans CV et télétravail. (Photo Bruno Lévy) 

EnjeuxRH : Vous êtes le DRH France de l’industriel pharmaceutique Merck. Pouvez-vous nous le présenter rapidement ?

Éric Andrieu : Merck est un groupe allemand de 352 ans avec trois secteurs d’activité. Le « healthcare », pour commencer, autrement dit l’industrie pharmaceutique, avec des médicaments de spécialité en cancérologie et neurologie et des traitements pour la fertilité. Ensuite, les sciences de la vie, en forte croissance, avec du matériel pour l’industrie pharmaceutique, l’agroalimentaire, les laboratoires d’analyse, etc. Enfin, l’électronique avec des technologies de pigments, de cristaux liquides pour les semi-conducteurs, les écrans, etc. Le trait d’union entre les trois, c’est bien sûr la chimie. Nous sommes installés en France depuis plus de 50 ans sur 11 sites aujourd’hui dont deux tiers pour la production. Et nous sommes organisés de façon matricielle en fonction de nos trois activités et des zones géographiques. Nous avons plus de 4000 employés en France, 45% de femmes, avec une moyenne d’âge de 37 ans. Et notre grand défi, c’est le recrutement de 600 personnes en 2022, soit 15% d’augmentation de nos effectifs.

En tant que DRH France, quel est votre périmètre d’intervention et de qui dépendez-vous ?

Je coordonne l’ensemble des activités RH pour tous les collaborateurs sur le territoire avec une vingtaine de personnes dans mon équipe. Nous avons ce que nous appelons des HR VP et des market HR, responsables de l’accompagnement du business au quotidien. J’ai essayé de les regrouper par domaine d’activité, et non par site. Enfin, j’ai aussi des experts en rémunération, en « talent management » et bien sûr en recrutement. Sur un site industriel comme Molsheim (Bas-Rhin) avec 1900 employés, nous avons une équipe de 5 RH. Les employés qui s’occupaient de l’administratif RH ou de la paye ne sont plus dans mes équipes, mais dans un service à part – les business services – avec la comptabilité, les achats, etc. Les équipes RH se concentrent ainsi sur la stratégie et l’accompagnement de la performance.

Je dépends d’un manager en Allemagne. Et je vois mon rôle comme celui d’un ambassadeur de la France. Je cherche à expliquer avec pédagogie le fonctionnement du pays, du droit du travail, des relations sociales et à démythifier la complexité qui peut être perçue au-delà de nos frontières. L’idée c’est d’expliquer comment on peut mener un projet de réorganisation en France, qui est certes un processus social long d’information, de consultation, sans entraver les enjeux le business et de performance.

Monter des équipes mixtes métier-RH

Cette organisation va-t-elle de pair avec la mise en place d’outils numériques ?

Oui, le groupe a énormément investi dans les outils informatiques depuis 7 à 8 ans déjà. Nous avons donné progressivement aux équipes RH et métier, par exemple, un accès plus large aux données. Avant, ils n’y avaient pas accès du tout. Aujourd’hui, un manager qui travaille depuis les États-Unis par exemple a ses équipes en France, en Allemagne, en Chine. Il a donc accès à toutes les données analytiques RH : la proportion de femmes dans son service, sa masse salariale, ses effectifs mois par mois, etc. De cette façon, il pilote ces indicateurs de performance RH au même titre que des indicateurs de performance business.

Cela passe principalement par SAP et des développements internes. Nous avons ainsi un outil commun maison appelé HR4U auquel l’ensemble des managers et des équipes RH se connectent. Il sert à la fixation des objectifs, à l’évaluation des performances, à la révision des salaires, au développement des collaborateurs, à l’organisation des successions, etc. Nous n’utilisons plus du tout les tableurs – Lotus, puis Excel – depuis longtemps déjà.

 

 

 

Sur votre site industriel de Martillac en Gironde, par exemple, vous avez déployé une organisation capable de mener à bien un lancement de produit, ce qui n’était pas le cas jusque-là. Comment est-ce que cela se traduit d’un point de vue RH ?

Quand nous avons de grands projets, nous montons des équipes mixtes RH et métier. Mais les RH doivent avoir un positionnement fort de business partner. C’est une des tâches à laquelle je m’attelle et qui est d’ailleurs facilitée par l’extraction des fonctions administratives de mes équipes. Elles sont ainsi concentrées sur l’accompagnement de la performance et sur la stratégie. Nous sommes impliqués en amont des projets business. C’est une volonté des RH, mais aussi de l’entreprise et de ses dirigeants, même si chaque pays a ses propres problématiques. En France néanmoins, je suis bien reconnu comme un partenaire stratégique avec sa valeur ajoutée.

Vous recrutez donc 600 personnes cette année. Quels types de profils sont concernés, pour quelles activités ? Et faites-vous face à la pénurie de certaines compétences ?

Nous avons effectivement 600 postes ouverts cette année. Et nous continuerons qui plus est sur un rythme similaire jusqu’en 2024. C’est vraiment notre défi RH le plus important.  Nous allons passer de 350 à 700 personnes par exemple à Martillac sur les biotechnologies et donc doubler en taille pour répondre à la forte croissance de cette activité. Nous allons aussi recruter 400 personnes sur le site de production en sciences de la vie de Molsheim. Nous recherchons deux types de profils. Des opérateurs de production en Alsace et des ingénieurs de production et des ingénieurs qualité à Martillac.

Et effectivement, nous sommes confrontés à une pénurie de candidats. En Alsace, c’est un peu particulier, car la région est quasiment en plein emploi. Mais à Martillac, en revanche, nous faisons face à une forte concurrence sur le type de profils que nous recherchons.

Avez-vous travaillé sur des démarches spécifiques pour contourner ces pénuries de candidats ?

Les défis sont différents sur les deux sites, mais effectivement, nous avons essayé d’innover. En Alsace, nous avons passé un accord avec pôle emploi la région pour mettre en œuvre une méthode de recrutement sans CV. Nos postes à pourvoir à Molsheim peuvent en effet convenir à des personnes sans formation ou formées à d’autres métiers qui souhaiteraient se reconvertir. Et dans ce cas, ce ne sont ni le CV ni la formation de base qui constituent le critère numéro un de sélection.

Le processus du recrutement sans CV commence par des sessions d’information d’une centaine de personnes sur les besoins, les profils de poste, l’entreprise. Elles se déroulent chez Pôle Emploi, sont co-animées avec Merck. Ensuite, les candidats intéressés participent à une simulation de 3 heures dans nos locaux. Ils sont mis en situation réelle sur un poste de travail, avec la charlotte sur la tête, les classeurs de documentation, etc. Nous leur donnons un cas pratique non pas pour juger de leur niveau technique bien sûr, mais de leur pragmatisme, de leur dextérité, etc.  Enfin, les quelque quinze personnes arrivées jusque-là passent un entretien avec les équipes de recrutement pour évaluer leur motivation cette fois.

Ceux que nous décidons de garder entrent dans un dispositif de formation et d’intégration de deux semaines conçu avec la région. Aujourd’hui, quasiment 100% des candidats arrivés jusqu’au dernier entretien sont en poste.  Nous avons démarré neuf promotions et embauché 120 personnes depuis nos premiers recrutements sans CV fin 2021. De plus, même si ce n’est pas l’objectif de départ, cette méthode favorise la diversité. C’est ouvert à tous les candidats sans critères de départ. Nous avons par exemple embauché une personne de 59 ans par ce biais.

Mettre directement les candidats en relation avec un employé

Avez-vous également mis en place des outils numériques pour le recrutement ?

Oui. Nous n’avons qu’une porte d’entrée unique vers les recrutements, notre site Web. Les candidats postulent directement un poste en y déposant tout simplement leur CV. Ce qui n’empêche pas nos équipes de recruteurs de travailler sur du sourcing de candidats par ailleurs. Mais notre démarche la plus récente concerne la mise en relation directe des candidats avec des employés de Merck sur le site Web. Depuis avril, les postulants peuvent contacter en direct, par messagerie instantanée, des salariés qui connaissent le type de métier concerné. Les candidats posent ainsi toutes les questions qu’ils souhaitent. En ce moment, nous formons et informons nos employés à ce dispositif et nous avons déjà 30 correspondants.

Comptez-vous mettre en place des outils liés aux data de recrutement ?

Nous étudions l’utilisation de robots pour répondre à certaines questions. Nos entretiens de recrutement se déroulent à distance. Mais nous sommes une direction des ressources humaines et je reste attaché au mot humain. Il faut trouver un juste équilibre. Je reste partisan de la dimension humaine, du contact. J’ai toujours pensé, même avant le digital que les processus sont des outils au service de la performance, au service d’une politique RH ou d’une politique d’entreprise. Mais ce ne sont pas les outils ou les processus qui font la politique.

Comment gérez-vous la question du télétravail ? La pandémie a-t-elle eu une incidence ?

Avec le Covid, nous avons accéléré sur le sujet et nous avons négocié des accords tout au long de l’année dernière pour aller jusqu’à 3 jours par semaine. Cela s’adresse plutôt à nos ingénieurs et ne concerne pas directement nos collaborateurs en production. Mais pour éviter les déséquilibres, nous leur avons quand même ouvert ces accords. Les employés de production bénéficient de jours avec une organisation assouplie pour se rendre à un rendez-vous médical par exemple.

Un des premiers cas de Covid était une employée de Merck

Le télétravail est-il aussi un levier de recrutement ?

Oui, pour des fonctions à l’étranger par exemple. Nous sommes amenés à ouvrir des postes sans frontières. Le manager peut être installé en Chine, mais le candidat identifié peut habiter en France ou aux États-Unis. Il n’existe ni frontière ni lieu de travail prédéterminé au moment du recrutement. C’est vraiment le profil qui fait le lieu géographique du poste. Le télétravail est une initiative du groupe dans le cadre d’un projet appelé « flexible working » déployé progressivement à travers le monde l’an dernier dans quasiment tous les pays. Cela facilité ce type d’embauches. Sur le même principe, le télétravail est d’ailleurs aussi un outil de gestion de carrière.

Ce n’est plus du tout un tabou, une limite, une restriction. À l’exception, bien sûr, de postes très techniques qui imposent de travailler dans un laboratoire particulier. Le télétravail et la flexibilité du poste sont de vrais arguments de recrutement, mais nos législations doivent suivre. Je parle du code du travail, de la sécurité sociale, etc. Les législateurs doivent se mobiliser pour que le collaborateur soit accompagné aussi bien sur site que chez lui ou ailleurs.

Avez-vous mis en place des outils spécifiques pour le télétravail, en particulier depuis la pandémie ?

L’équipement est essentiel, et nous sommes bien placés pour le savoir. En 2020, un des premiers cas de COVID en Alsace était une employée de notre site de Molsheim. Nous avons dû être très réactifs. Nous avons évacué plusieurs centaines de collaborateurs quasiment en temps réel. Et le lendemain, nous avons fermé le bâtiment. Heureusement, ils étaient déjà équipés d’ordinateurs portables et de smartphones. De plus, nous connaissons bien les outils de collaboration comme Teams et nous avons très vite organisé des réunions à travers le monde. Nous nous sommes connectés par équipes de 10, 15, 20 voire 30 personnes. Nous pouvons nous organiser en sous-groupes. Je l’ai pratiqué avec mes équipes. Nous étions tous en plénière, puis répartis en ateliers entre lesquels je pouvais naviguer. Nous sommes une entreprise de science et de technologie dans laquelle les outils numériques ne posent aucun problème.

Avez-vous des projets concernant la formation ?

Le collaborateur est d’abord l’acteur de sa propre carrière. Mais l’entreprise doit lui donner accès à l’information sur les postes à pourvoir, sur la formation dont il aura besoin pour postuler. Nous avons donc beaucoup développé la formation interne chez Merck depuis près de 8 ans et le digital a pris une place considérable. Et nous avons accéléré depuis 4 à 5 ans environ. Nos employés peuvent s’autoformer avec des modules à distance avec des typologies et des longueurs de formation différentes.

Certaines concernent l’évolution de carrière et répondent plutôt à un besoin du collaborateur validé avec son manager dans le cadre de l’entretien d’information et du plan de formation. Mais nous proposons aussi des formations au RGPD, à la conformité, à la protection des données, etc.

Propos recueillis par Emmanuelle Delsol

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