Lesbiennes au travail : Invisibles et discriminées à la fois comme femmes et homosexuelles

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Une double, voire une triple peine. C’est ce que le monde du travail inflige encore aujourd’hui aux femmes lesbiennes. Elles souffrent en effet d’abord de l’invisibilité de leur groupe, à laquelle s’ajoute la discrimination malheureusement habituelle de deux autres groupes, les homosexuels et les femmes. C’est ce que rappelle l’association L’Autre Cercle à l’occasion de la publication de la première étude sur ce sujet et de son guide Voilat à destination des DRH et des alliés. (Image – Guide Voilat – L’Autre Cercle)

Selon une étude publiée en 2022 par l’association L’Autre cercle (lire encadré), seuls 34% des femmes lesbiennes se sont rendues visibles auprès de collègues du même niveau hiérarchique. À peine un tiers a fait la même démarche auprès de ses supérieurs. Une invisibilité qui relève en réalité souvent d’un choix lié à la crainte des lesbiennes de ne plus être considérées pour leurs qualités professionnelles, mais de se voir réduites à leur sexualité. Mais au-delà de cette invisibilité, les lesbiennes subissent aussi la misogynie associée à l’homophobie. Une combinaison oppressante qui les conduit en général à ne pas se plaindre des comportements à leur encontre. « De façon générale, les femmes ont déjà du mal à dire qu’elles sont harcelées au travail, mais pour les lesbiennes, la situation est encore plus difficile. Lorsque, par exemple, un ou une collègue découvre leur homosexualité et qu’il ou elle la harcèle, en parler peut équivaloir à un coming-out forcé », explique ainsi Catherine Tripon, porte-parole et administratrice nationale de L’Autre Cercle, Co-responsable du pôle employeur, de la charte d’engagement LGBT+ et du projet Voilat (Visibilité ou Invisibilité des Lesbiennes au travail). « En écho à la question de l’égalité professionnelle, les lesbiennes se dévoilent et s’affirment beaucoup moins que leurs homologues gays », affirme ainsi Denis Triay, président de L’Autre Cercle dans son introduction à l’étude commandée par l’association sur la visibilité.

Sarah Jean-Jacques, chercheuse en sociologie citée dans le guide Voilat de L’Autre Cercle liste ainsi les stéréotypes auxquels les lesbiennes font le plus souvent face en entreprise, sources de discrimination et de harcèlement : l’apparence « trop » masculine, le « elles n’ont pas trouvé le bon », la laideur qui expliquerait qu’elles se tournent vers les femmes, l’absence de sexualité à part entière et la réduction des personnes concernées à leur seule sexualité. Une situation difficile, même si L’Autre Cercle juge que l’invisibilité des femmes lesbiennes dans l’entreprise est davantage un « angle mort social » que la résultante d’une malveillance systématique.

Un guide à l’intention des alliés et des DRH

Les conséquences de cette triple discrimination sont cependant multiples. L’invisibilité entrave la carrière des lesbiennes, mais elle nuit aussi à leur situation économique et à leur santé mentale. Plus de la moitié des répondantes à l’étude Ifop (53%) déclarent ainsi avoir subi au moins une discrimination, voire une agression. Un taux qui grimpe à 57% dans les secteurs fortement masculins et à 59% pour les ouvrières. Une imposante proportion de 45% des répondantes avoue même avoir eu des pensées suicidaires. 41% évitent tous les événements de leur entreprise liés à la vie privée auxquels les conjoints sont conviés et 44% ne parlent de leurs activités en lien avec la communauté LGBT+. Pire, certaines vont jusqu’à ne pas faire valoir leurs droits dans l’entreprise : un tiers des répondantes ne prend pas son congé maternité ou parentalité et 38% n’indiquent pas le nom de sa partenaire sur sa mutuelle.

Pour accompagner ces femmes à la fois dans leur quotidien professionnel et aider les entreprises et leurs DRH à en faire autant, l’Autre Cercle a créé le projet Voilat (Visibilité ou invisibilité des lesbiennes au travail). Celui-ci intègre la double étude quantitative et qualitative de fin 2022 sur les femmes lesbiennes au travail dont sont issus entre autres les chiffres sur l’invisibilité. L’enquête commandée à l’Ifop par l’Autre cercle, association pour l’inclusion des personnes LGBT+ au travail (lire l’encadré méthodologie) fin 2021 vise justement à faire un point objectif sur la situation particulière des femmes lesbiennes (homosexuelles, bisexuelles ou transgenres vivant avec une femme) dans le monde professionnel. Une première a priori, puisqu’aucune étude ne s’était uniquement concentrée sur cette question. Ces chiffres leur donnent un premier niveau de visibilité, et l’Autre cercle les a croisés avec une étude qualitative réalisée par interviews d’employées et de managers lesbiennes.

Lesbophobie, et non homophobie

L’Autre Cercle a fait de ces deux enquêtes la base de son guide Voilat à destination des alliés et des DRH. Mais l’association y propose aussi des pistes pour les entreprises et par extension, leurs DRH afin de mieux comprendre et appréhender la question. Le document souligne par exemple l’importance en permanence d’utiliser un vocabulaire juste. Ainsi, préférer lesbophobie à homophobie évite « la perpétuation de l’invisibilité lesbienne. » Sur ce point, le guide cite la Coordination Lesbienne en France en 2007 : « la notion d’homophobie repose sur une vision universalisante, donc masculine, de l’homosexuel qui nie la hiérarchie sociale des sexes, la suprématie culturelle, politique, économique des hommes et les discriminations sexistes et lesbophobes qui en découlent. » Le document conseille aussi aux dirigeants des entreprises d’utiliser sans crainte le terme « lesbienne » pour « désamorcer sa charge négative »

L’Autre cercle liste également de façon très pragmatique les bénéfices que les entreprises trouveront à suivre ses conseils. À commencer par l’attractivité auprès des plus jeunes, moins prompts à accepter les discriminations. L’association pointe la difficulté à trouver des role models pour contrer l’invisibilité. Elles sont ainsi particulièrement peu nombreuses à se porter volontaires, en particulier lorsqu’elles sont dirigeantes, si l’on en croit l’enquête de l’Autre Cercle. Trois d’entre elles ont cependant choisi de témoigner dans le guide Voilat, à la fois de leur propre expérience et des actions à mener en entreprise : Corine Calendini, directrice AXA Wealth Management et DGD AXA Banque, Aurélie Feld, présidente de la société de conseil en RH LHH France et Aliette Mousnier-Lompré, DG d’Orange Business.

Le rôle clé des RH

Comme dans le cas d’autres discriminations, l’Autre Cercle insiste sur l’importance de l’affirmation claire d’une tolérance zéro par la direction vis-à-vis de la discrimination ou du harcèlement des lesbiennes associée à une politique définie en la matière. Mais il rappelle aussi le rôle clé et concret du DRH quant à l’exécution de cette dernière. Le guide liste une série d’actions à mettre en œuvre. À commencer par une démarche aussi simple que la mise à disposition des employés d’informations sur le sujet, voire l’organisation de rencontres avec des associations ou des personnalités engagées en la matière.

Le rappel du cadre juridique et des risques encourus en cas d’entrave est également du ressort de la direction des ressources humaines. Tout comme l’impulsion de formation pour les managers de proximité aux enjeux de l’inclusion des personnes LGBT+. Sans oublier l’importance de nommer la diversité lesbienne, la lesbophobie, la biphobie et leurs spécificités. Le guide évoque des formations sur les stéréotypes et les biais inconscients accessibles à tout le monde. « On a tous des biais, mais si on les conscientise, on peut travailler dessus, avance Aurélie Feld. Je pars de l’idée que l’être humain est bon, mais qu’il agit souvent par ignorance » Pour lutter contre la triple peine infligée aux lesbiennes au travail, il ne faut pas traiter le sujet LGBT+ uniquement comme un sujet d’égalité entre hétérosexuels et homosexuels, bisexuels et transgenres, insiste L’Autre Cercle, mais lui intégrer aussi l’égalité entre hommes et femmes. Enfin, il faut bien sûr se doter de métriques pour mesurer l’impact de ces politiques.

Adapter les politiques de diversité, d’inclusion et d’égalité femmes/hommes en place

Très concrètement, le guide Voilat conseille aux DRH de « se greffer sur des politiques et des dynamiques qui existent déjà », autrement dit celles de l’égalité entre femmes et hommes, mais de développer « des politiques RH inclusives favorisant l’activation de leurs droits pour les femmes lesbiennes et bisexuelles ». L’enquête IIfop/L’Autre cercle révèle que par crainte d’être discriminées ou moquées, plus d’un tiers d’entre elles renoncent à réclamer leurs droits dans le cadre du travail : congé de parentalité après l’accouchement de la partenaire ou inscription de la conjointe sur la mutuelle, le plan d’épargne entreprise ou comme contact en cas d’urgence. Il revient donc aux équipes RH de garantir la stricte confidentialité de ce type d’informations et de communiquer clairement sur ce sujet. La DRH doit aussi se tenir à jour d’une législation qui évolue rapidement comme l’ouverture de la PMA (procréation médicalement assistée) aux femmes célibataires et aux couples de lesbiennes en août 2021 qui permet entre autres d’obtenir des autorisations d’absence professionnelle pour des examens liés au protocole de la PMA.

Emmanuelle Delsol

L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 1 402 femmes lesbiennes ou bisexuelles exerçant une activité professionnelle, extrait d’un échantillon représentatif de 2 431 femmes homosexuelles et bisexuelles âgées de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine. La représentativité de l’échantillon national de 2 431 femmes lesbiennes et bisexuelles a été assurée par la méthode des quotas (âge, situation en matière d’emploi, catégorie socioprofessionnelle) après stratification géographique (région, catégorie d’agglomération). Les interviews ont été menés par questionnaire autoadministré en ligne du 9 novembre 2021 au 25 janvier 2022. Cette étude a été réalisée entre décembre. L’Autre cercle a également mené des interviews de lesbiennes, afin de croiser les conclusions avec l’enquête Ifop.
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