Pour le DGA de Fives, « il ne faut pas voir les data scientists comme des gens hors sol »

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Quelles similitudes y a-t-il entre le monde des militaires et l’univers de l’entreprise dans l’appropriation des données ? Denis Mercier, ancien chef d’état-major de l’armée de l’air, désormais DG adjoint de Fives Group, est venu sur Big Data & IA Paris 2022 témoigner de son expérience dans ce domaine. Pour instaurer une culture de la data, il préconise une approche de terrain. (Photo de Denis Mercier – Crédit M.Gros)

Existe-t-il une culture de la data dans l’armée ? « Cela dépend des armées, certaines sont plus digitales que d’autres comme l’armée de l’air ou la marine », mais en tout état de cause, « cette culture de la data s’acquiert par la confiance ». C’est ce qu’a exposé, lors d’une intervention en session plénière sur Big Data & IA Paris 2022, l’ancien chef d’état-major de l’armée de l’air Denis Mercier. Celui qui fut aussi Commandant suprême allié pour la Transformation de l’Otan (de 2015 à 2018) est depuis 4 ans le directeur général adjoint du groupe industriel français Fives Group qui conçoit des machines-outils de précision et des lignes de production pour l’aéronautique, l’automobile, le ferroviaire, le naval ou encore le BTP. Une entreprise créée en 1812, riche d’un héritage de 200 années dans l’industrie dont 155 dans l’acier.

Pour instaurer une culture de la donnée, Denis Mercier conseille d’adopter une démarche ‘bottom-up’. « Il ne faut pas voir les data scientists comme des gens hors sol qui ne comprennent rien à l’expertise métier, cette intimité entre experts métiers et data scientists, elle se construit », a-t-il expliqué dans une session intitulée « Du plus haut niveau de commandement militaire à l’industrie 4.0, récit d’une transformation par la data ». Le directeur général adjoint de Fives Group rappelle qu’il a fallu à certains experts métiers plus de 30 ans pour se former. A l’inverse, si un data scientist s’en va, on peut en recruter un autre [NDLR : si tant est que le vivier de compétences en data science se renouvelle régulièrement].

Bien agréger les données, une étape complexe

« Si l’on veut plus de numérique dans nos métiers, il faut une capacité industrielle forte », pointe l’ancien chef d’état-major. Dans la Marine, par exemple, un marin comprend qu’en disposant de davantage de données, il peut prendre plus de responsabilités, en créant lui-même les conditions pour le faire. C’est en ce sens que l’intimité avec les spécialistes des données est extrêmement importante, avance Denis Mercier. Celle-ci se construit d’abord en jouant avec les données, constate-t-il. Le data scientist doit demander à l’expert métier quels sont les bons paramètres, les bonnes données à utiliser, etc. Cette approche progressive passe par la mise à disposition d’une plateforme de gestion de données. Le DGA de Fives Group cite en exemple celle de l’éditeur français Dataiku. « Elle propose un studio qui permet de démarrer très bas, de préparer les données, de les trier et de commencer à se lancer dans la programmation avec des outils pré-packagés ». C’est important, explique-t-il, parce que c’est l’expert de terrain qui détient l’information.

Les données peuvent être extrêmement hétérogènes, de grandes quantités de données provenant de nombreuses sources différentes. « Si on les agrège correctement, on peut faire des mécanismes d’aide à décision et qui, surtout, ne décident pas à la place des gens », poursuit Denis Mercier en insistant sur l’importance et la complexité de cette agrégation. « Créer une architecture globale, c’est réalisable, mais moi, je crois beaucoup aux premières capacités on edge, des capacités d’intelligence artificielle pour traiter des problèmes ponctuels et acclimater nos marins, nos aviateurs. Avec ça, je peux commencer à vous aider à prendre des décisions », assure-t-il. Au passage, Denis Mercier évoque Helsing, un éditeur allemand qui développe des solutions basées sur l’intelligence artificielle. Celles-ci viennent s’intégrer dans les plateformes des armées pour augmenter leurs capacités opérationnelles. « Une société dont on va entendre parler », estime l’ancien militaire.

Quand la fonction prime sur le grade

S’il faut s’atteler à agréger les données de l’Otan, par exemple, la tâche est immense. Non seulement, elles proviennent de 30 pays, mais elles sont aussi complexes et, par nature, très confidentielles. Imaginer un cloud réunissant toutes les informations de renseignement, Denis Mercier l’a fait et il a présenté l’idée aux ambassadeurs, peu convaincus au début. Au bout de 18 mois, la présentation d’un premier cas d’usage, bien particulier, a laissé entrevoir tout l’intérêt d’un tel projet. Mais s’il a fallu 18 mois pour cette présentation, c’est que chaque pays a dû négocier des accords de transmission de données avec chaque autre pays. Un long chemin. « Je pense donc qu’il faut y aller step by step, d’où l’idée d’avancer sur des données non classifiées », poursuit Denis Mercier. « Il faut savoir aussi gérer les données de classifications différentes, mais ça, on sait le faire, si on le veut, on peut le faire ».

On a l’impression que la donnée remet en cause la notion de hiérarchie, suggère Enguérand Renault, rédacteur en chef média et technologie du Figaro, animateur de la session plénière sur Big Data & IA Paris 2022. « C’est souvent l’inverse », répond Denis Mercier. Son expérience de 39 ans dans l’armée de l’air lui permet de rappeler la culture en vigueur au sein de ce corps : la fonction prime sur le grade. « Dans un projet, c’est celui qui est le plus compétent qui, éventuellement, dirige son chef. Lorsque l’on a traité le problème, la hiérarchie reprend son cours », explique-t-il. Cette notion de décentralisation, le DG adjoint de Fives Group la voit davantage, toutes proportions gardées, chez les militaires que dans les entreprises qui sont très hiérarchisées. Si l’on veut améliorer l’efficacité opérationnelle, comment faire pour s’organiser afin que l’on puisse donner plus de responsabilités à un expert de terrain, à l’aide des outils informatiques appropriés, expose Denis Mercier. « On doit ensuite réfléchir de manière plus générale et, là, ce n’est pas l’expert de terrain qui intervient, on reprend une approche ‘top down’ mais si on utilise cette dernière depuis le départ, on rate cette transformation numérique », prévient l’ancien chef d’état-major qui invite à « une plus grande flexibilité entre l’expert et les décisions qui doivent être prise à un niveau supérieur ».

Un hub de data scientists accompagne les experts métiers

Et chez Five Group, comment la transformation numérique s’est-elle passée ? « Nous avons retrouvé les mêmes freins que partout, il faut convaincre en interne », reconnaît Denis Mercier en ajoutant que l’entreprise bi-centenaire a de grandes ambitions pour cette transformation digitale. « Nous avons un hub et des experts métiers ». Comme partout ailleurs, ces derniers n’entendent pas voir les data scientists leur apprendre leur métier. « Ce n’est pas le but, le hub va seulement les accompagner », insiste le directeur général adjoint. « Il faut au départ une intime association entre ce hub de data scientists à Lyon et les experts métiers. Et cette organisation doit toujours être vivante ». Et si l’on monte l’expertise des experts métiers sur les données, alors les data scientists pourront se recentrer sur leur propre métier. Quel est le retour sur investissement ? Au début, il n’est pas important. « Il faut perdre du temps pour jouer ensemble avec les données, c’est un partenariat », insiste Denis Mercier. « C’est toujours un pari au départ, et ce pari n’est jamais facile ».

Enfin, quelles mesures ont été mises en place pour mesurer le succès de la transformation sur les données ? « A l’intérieur du groupe, nous n’avons pas voulu instaurer de KPI extrêmement forts », explique le directeur général adjoint. « Je crois que c’est la multiplication des cas d’usage, une fois de plus purement fonctionnels ou bien sur les applications métiers, qui nous permettent d’avoir une indication sur notre maturité numérique ». Un indicateur peut être le nombre d’experts du terrain qui sont embarqués dans le développement de cas d’usage.

Au sein du groupe français, l’équipe Fives CortX – qui regroupe des ingénieurs spécialisés en ingénierie logicielle, en vision par ordinateur, en data science et en intelligence artificielle – développe des applications métiers au service de la connectivité industrielle, de la maintenance prédictive, de l’amélioration de la qualité, couvrant également la mesure de TRS (taux de rendement synthétique) sur la production.

Maryse Gros

Article original sur le site de notre publication sœur Le Monde Informatique

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